La Casamance, l'écho de la savane ...
Aprés une nouvelle nuit interminable de veille minutieuse longeant la côte africaine, nous sommes arrivés devant la passe d'entrée de la Casamance en fin de matinée. Devant nous, des barres de déferlantes peu engageantes, d'autant que de l'extérieur, nous ne visualisions pas bien où nous allions bien pouvoir nous frayer un passage. En respectant scrupuleusement les bouées de chenal, et serrant les fesses à chaque train de houle qui faisait diminuer dangereusement les hauteurs d'eau, nous avons viré à 90° et longé ces impressionnants rouleaux. Cet endroit ne ressemble en rien que nous n'ayIons jamais vu en navigation...
La Casamance a été une extraordinaire surprise, plus jolie et plus agéable encore qu'on ne nous l'avait décrite. Des mouillages seuls au monde, au coeur de la mangrove, des p'tits déj dehors, bercés par les chants mélodieux des oiseaux, des gens d'une gentillesse sans borne et totalements désintéressés ...
On ne peut vous résumer la Casamance sans vous parler de Chérif, notre première et notable rencontre. On nous avait conseillé d'aller le trouver à Karabane, notre première escale, afin qu'il nous aiguille sur la particularité des bolongs, les passages difficiles ou inaccessibles avec nos quillards. On nous a trés rapidement conduit à lui qui n'a pas compté son temps pour nous faire visiter son village, nous raconter leur vie, leurs habitudes, nous dégôter des fruits...
Ici les villages sont beaucoup plus propres qu'à Dakar ou dans le Siné Saloum : un ramassage collectif par les enfants a lieu une fois par semaine et les détritus sont ensuite brûlés. Tout ce qui est organique est dévoré par les innombrables animaux en liberté : cochons, poules, canards, chèvres, lapins, chiens, vaches, moutons. Malgré cette joyeuse confusion, tous regagnent leurs écuries respectives à la tombée de la nuit.
Ni eau courante, ni électricité, seuls des puits relativement bien pleins d'eau douce. De nombreuses cases ont été équipé de panneaux solaires et batteries par des ONG il y a quelques années, et il est impératif que les locaux entretiennent au mieux ces batteries,incapables pour la plupart, de supporter l'investissement que représenterait leur remplacement.
Parmi nos meilleurs souvenirs, les quelques jours passés à Ehidj, un petit village qui compte 9 cases sur une île,
et presque une seule famille. Cette île est sacrée et refuse ses morts, qui sont enterrés en face, sur un autre ilot. Dés notre arrivée, Josette (une toubab presque locale désormais), rencontrée prés du puits, a entrepris de nous montrer la petite école : deux cases aux toits de palme au milieu d'une plaine, qui accueillent deux fois dix petits
bouts de chou, en blouse avec des cartables aussi hauts qu'eux... Médard, l'instit aux dread locks, s'est joind à nous et nous a conduit au chef du village François, puis nous a fait découvrir tout le village, ses jolies cases, ses jardins potagers bien entretenus...
Le soir même, François, aussi récolteur de Bounouk (vin de palme), nous convia à une dégustation, dans un petit "cabaret": quatre bidons pour poser ses fesses au coeur d'un bosquet, le Bounouk tout juste récolté, versé dans un pot de terre et la louche circulant de mains en mains ...
Le lendemain matin, on nous conviait à déjeuner : un chevreau avait été tué à l'occasion du retour d'un doyen au village. A l'ombre, nous avons partagé le riz et la viande en sauce autour d'un grand plat, avec pour seuls couverts nos mains. Je ne peux réprimer un sourire au souvenir de Loïc et Seb la bouche cerclée de grains de riz et le reste à leurs pieds! A mes moqueries, ils rétorquèrent qu'ils n'avaient jamais eu le droit de manger avec les mains, eux.
L'aprés-midi, un espagnol fraîchement marié à une casamançaise, a pêché un énorme capitaine de 14 kgs que nous avons partagé le soir même.
Les gars sont partis en brousse avec Joseph pour une récolte de bounouk : Cette pratique aussi spectaculaire que dangereuse consiste à grimper en haut du palmier à l'aide d'une simple ceinture en végétale et de ses pieds nus (les plus hauts peuvent atteindre plus de 15 m), d'inciser l'arbre et de placer des bouteilles pour recevoir la sève guidée par de petits entonnoirs en feuille de palmier. Et gare aux abeilles qu'il faut enfumer. Cette opération se fait matin et soir.
De mon côté, j'allais chercher du bois en brousse et faisais cuire mon pain dans le four du village, aidée de Bambo. En fin d'aprés-midi, nous nous sommes tous retrouvés chez Joseph qui tenait à nous faire goûter des huîtres de paléthuviers grillées au feu de bois, une éclade locale en sorte. Le lendemain matin, Léon nous emmena pêcher sur sa pirogue. Uniquement de petites prises certes, mais je remontais néanmoins cinq poissons! Ce midi et ce soir là, nous avons encore été invité
à déguster nos pêches, enfin plus les leurs que les nôtres... Gênés, nous les aurions pourtant blessés de refuser... Nous étions conviés le lendemain à un mariage, mais nous avons préféré décliner cette énième invitation, embarrassés de tant de générosité.
Quelques jours plus tard, à Nioumoune, c'est à un enterrement qu'on nous a proposé d'assister!! Lorsque c'est une vieille personne qui s'éteint, on fête la vie qu'il a eu. Les femmes étaient magnifiques, enrubannées dans des boubous multicolores. Devant la dépouille, certains d'entre eux mimaient même des scénettes de la vie de cet homme, habillés de ses vêtements et affublés d'objets lui ayant appartenu, une casquette, sa canne... Nous avons tout de suite été intégré à la fête, une femme m'a installé un parpaing devant elle et couvert les jambes d'un châle et nous étions aux premières loges pour profiter des chants et des danses traditionnelles. On nous a offert du bissap, une boisson sucrée non alcoolisée, faîte à base de feuilles d'oseille séchées.
Dans ce même village, nous avons eu aussi l'immense privilège d'être présentés à la reine, une vieille femme aux longs doigts noueux d'une aura indescriptible, qui serait dans sa cinquième initiation, une initiation durant 25 ans, je vous laisse faire le calcul... Elle nous a offert une noix de coco que nous n'avons pas manqué de déguster étant donné, en plus, son caractère sacré!!
Mais le temps passe inexorablement et aprés avoir attendu que le vent se calme un peu, nous avons levé l'ancre pour le Cap Vert. 500 miles en trois jours et demi, tout est dit. 30 noeuds de vent presque tout le long, et une mer trés agitée...
Nous apprécions beaucoup ce retour à la civilisation et nous sommes jetés sur un plat de poulet aprés un mois sans viande, que du riz et du poisson... Le but de ces quelques jours est de nous préparer à la grande traversée, ayant déjà séjourné ici il y a deux ans. Aujourd'hui nous redécouvrons l'odeur de la pluie que nous n'avions plus croisée depuis Porto Santo, en octobre...
La suite donc, de l'autre côté!!